Episode spécial ! Stéphane Vial, habilité à diriger des recherches en design, est professeur à l'UQAM, mais aussi un philosophe du design et rédacteur en chef de la revue internationale de langue française Sciences du Design, aux éditions PUF. Il est aussi un auteur reconnu grâce à ses nombreuses publications.
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Retranscription en texte :
"Voici une petite évolution pour Culture Design ! Je suis allée à la rencontre de professionnel du design ; ce sont des personnes qui m'inspirent et dont je souhaite vous faire partager leur état d'esprit.
On commence cette première interview avec Stéphane Vial, professeur, que j'ai rencontré dans la superbe école de design à l'Université de Québec à Montréal.
J'ai tout d'abord connu Stéphane Vial par ses publications. Avant mon entrée en master Design : Interaction, Innovation, Service, à Bordeaux, Mme Stéphanie Cardoso, directrice dudit master nous avait transmis une bibliographie. C'est là que j'ai découvert notammentUn court traité du design et Le Design aux éditions Que Sais-je. De manière très simplifiée, c'est grâce à la lecture de ces deux ouvrages que j'ai pu mettre les mots sur ce que je voulais faire dans la vie et que je savais que j'étais sur la bonne voie. Ensuite, des collègues de mon master, anciens étudiants et anciennes étudiantes en licence à l'Université de Nîmes, ont eu Stéphane Vial comme professeur et n'ont fait que l'éloge de son talent. Alors, je voudrais commencer par dire merci à Stéphane Vial, pour avoir éclairer mon chemin par ses lumières et de me faire l'honneur de cette interview.
Marion Massot : Bonjour Monsieur Vial, je suis Marion Massot pour le podcast Culture Design. Merci de me recevoir. Est-ce que vous pouvez vous présenter rapidement s'il vous plaît ?
Stéphane Vial : Je m'appelle Stéphane Vial et je suis actuellement professeur à l'UQAM, Université de Québec à Montréal, où nous nous trouvons en ce moment même. Précédemment, j'étais en France à l'Université de Nîmes. Je travaille dans trois directions depuis plusieurs années déjà, la théorie du design et ce que l'on peut appeler plus largement la philosophie du design. Deuxièmement, maintenant je développe depuis peu de temps, un travail de recherche en design numérique et santé mentale, avec une dimension d'intervention pratique avec un projet d'application mobile, en fait, dans ce domaine. Et puis troisième aspect, qui rejoint un peu le premier, mais dans le design éditorial, le design des publications savantes où il ya beaucoup de choses à faire, en lien avec ce que l'on appelle les humanités numériques.
Marion Massot : Okay, très bien merci ! Pouvez-vous me donner une définition de la philosophie du design et en quoi consiste donc d'être un philosophe du design ?
Stéphane Vial : Alors, on pourrait longuement de cela... Mais la philosophie du design c'est un domaine qui est émergent dans le sens où il ne fait pas encore partie des branches classiques de la philosophie. Dans les branches classiques de la philosophie, il y a par exemple, la philosophie de l'art, la philosophie des sciences, la philosophie des techniques mais il n'y a pas encore une branche que l'on pourrait appeler la philosophie du design et donc, soit on le prend à partir de la philosophie puis on essaie d'amener le design comme un objet de philosophie et d'élargir les branches de la philosophie, ce qui est possible et puis, actuellement ce qui est en train d'émerger chez un certain nombre de chercheurs comme par exemple, Peter Vermaas, à l'Université de technologie de Delphes aux Pays-Bas, ou plus récemment Vincent Baubouin, qui a soutenu une thèse sur Jacques Viénot. Alors, il y a comme ça, des tentatives récentes qui émergent puis bien sûr, il y a les quelques ouvrages que j'ai essayé de produire dans le domaine. En tout cas, ce n'est pas une vue exhaustive ce que je dis là, mais ce sont des exemples de travaux dans le domaine. Il y a aussi des approches de philosophie du design qui sont liées à d'autres domaines. Par exemple, il y a des approches plus proche de la philosophie de l'art par exemple, le travail de Pierre-Damien Huygues, ou il y en a d'autres qui sont plus proches de la philosophie de la conception, dans le sens de l’ingénierie, par exemple Armand Hatchuel. Il y a comme ça un certain nombre d'effort mais finalement, on s'aperçoit qu'il y a encore un manque assez criant de travaux de philosophie du design qui se revendiquent uniquement du design et qui ne vont pas forcément chercher à s'articuler à l'art ou à la technologie. On pourrait alors dire que la philosophie du design c'est une tentative en émergence de créer une nouvelle discipline philosophique qui aborde le design pour lui-même et par lui-même. Et qui, pour l'instant, explore différentes directions. Alors, ça rejoint aussi tout simplement, beaucoup la théorie générale du design, qui est là, en revanche, un domaine beaucoup plus ancien puisqu'en gros, depuis une cinquantaine d'années, depuis qu'il existe un mouvement de recherche en design, il y a des efforts très importants et qui seraient impossible à résumer là. Mais, on pourrait dire que, depuis Herbert Simon, en 1969, les Sciences de l'artificiel, qui était un peu plus proche des sciences de l'ingénierie, de développer une pensée du design par lui-même. Il y en a eu comme ça beaucoup, jusqu'à par exemple récemment Nigel Cross au Royaume-Unis. Il y a tout un champs et à l'intérieur de ce champs, on pourrait dire que la philosophie du design tente une approche théorique plus spécifique à la philosophie. Sur ce plan, il y a vraiment différentes directions de travail ; par exemple, une direction qui est assez intéressante en ce moment, c'est l'éthique du design. Il y a beaucoup de travaux sur la dimension philosophico-éthique du design et de la conception des technologies en général. Par exemple, aux Pays-Bas, il y a un philosophe qui s'appelle Peter Pol Werboeck qui travaille là-dessus ou au États-Unis, une philosophe qui s'appelle Shannon Valoa. Après, proposer une définition unique c'est assez difficile, je préfère répondre de cette manière-là. Montrer qu'il y a une diversité d'efforts, de tentatives, parce que justement, ce que l'on constate, c'est que ce n'est pas encore clair et unifié. Mais on va dire que si on se réfère à ce que la philosophie est censée avoir comme valeur-ajoutée, la philosophie du design c'est censé être un champ qui éclaire les concepts du design puisque quand même, la clarification de concept, l'analyse de concept c'est quand même une des spécificités du travail philosophique. Alors, apporter un éclaircissement conceptuel dans les disciplines du design qui lui sont liées. C'est évident que c'est un aspect épistémologique fondamental qu'est la philosophie peut apporter. Et puis après, il y a tout le volet éthique, politique et social auquel la pensée philosophique peut apporter son aide pour aider finalement à penser le design aujourd'hui. Finalement, peut-être qu'aujourd'hui le concept même de design est en mutation. On n'est plus dans l'équilibre notionnel du 20ème siècle qui s'était constitué autour de la notion de design industriel où pendant plusieurs décennies, c'était assez clair ce que c'était le design. Dans le design industriel, on pouvait retrouver la branche du design graphique sur l'identité de marque, de produit, d'objets etc. Et même le design d'ambiance, d'environnements spaciaux ett puis, à la fin des années 80, tout cela a commencé un peu à se déliter et puis on pourrait dire que la notion de design est entrée un peu en crise puisque l'on s'est aperçu que finalement, il y avait des dérives avec l'alliance du design et du marketing. Puis, maintenant, c'est dans ce contexte où la notion de design s'étend comme un travail de philosophie, qui peut être intéressant, pour tenter de ressaisir quelle est son essence et ce qui tient la notion de design. A quoi tient le design ? On pourrait dire que ce serait ça peut-être la tâche ou l'ambition d'une philosophie du design. Moi, j'essaie d'y contribuer dans mes tous derniers travaux. Là, je travaille en ce moment sur un projet de vocabulaire du design. Ca, sera, j'espère, mon prochain livre publié. C'est un gros chantier qui va prendre un peu de temps mais le but, c'est justement de tenter de saisir la spécificité de la discipline design à travers la constitution de sa terminologie. Est-ce qu'il existe une terminologie propre au design ? Est-ce que l'on peut écrire un dictionnaire des termes propres aux spécificités du design, donc un vocabulaire, donc un lexique. Pas un dictionnaire avec des noms propres, des noms d'école de design, des noms de designers mais vraiment un lexique conceptuel. J'estime que cela aussi est un travail de philosophie. C'est donc ce sur quoi je travaille en ce moment, qui sera donc à paraître chez mon éditeur habituel, les Presses Universitaires de France, mais qui va faire aussi l'objet d'une exploration numérique. Peut-être qu'aussi en faire un ouvrage en ligne. En tout cas, là j'en suis à peu près à 400 mots à définir, qui ont été identifié et donc, tout ça pour dire que l'on peut essayer de définir l'apport de la philosophie du design comme un apport au concept et à la clarification et à l'étude des concepts. Voilà une réponse possible !
Marion Massot : Merci beaucoup, c'était très intéressant ! Quel est pour vous, le futur du design ?
Stéphane Vial : L'avenir du design... Moi, je ne suis pas futurologue, je ne connais pas l'avenir, mais en revanche, ce que je connais un petit peu, c'est évidemment l'histoire du design et sa genèse, son évolution. En ce moment, je donne ici un cours à l'UQAM, qui présente une approche archéologique, généalogique où on revient dans l'histoire du design. Pas pour faire de l'histoire du design, mais pour étudier justement l'évolution de la notion de design au cours de l'histoire, c'est-à-dire en gros, depuis le milieu du 19ème siècle, depuis qu'elle est apparu dans le contexte industriel. Justement, si on remonte un peu dans l'histoire de l'évolution de la notion de design, et bien on s'aperçoit qu'il y a quand même une certaine logique d'évolution qui peut permettre d'appréhender un petit peu le futur même si on ne peut pas non plus le prédire avec certitude exactement. Mais si je résume un grand trait, on a eu au 19ème siècle finalement l'apparition du design industriel comme un mouvement créatif qui réagit à l'industrialisation des sociétés occidentales. Il a réagit de deux manières : sur le mode du rejet, que William Morris incarne très bien, mauvaise qualité de la production industrielle qui tue le travail de l'artiste-auteur-artisan etc. Et puis, il y a eu progressivement une victoire des idées pro-industrielle puis que finalement, au début du 20ème siècle, avec le Deutscher Werkbund, avec Muthesius, puis dans la foulée, le Bauhaus, l'idée que le design pouvait servir la nouvelle société industrielle en train de naître, ce qui a donné aussi le Mouvement Moderne etc. Ce qui a fait naître le design industriel dont on parlait il y a quelques instants, il est arrivé un moment au milieu du 20ème siècle où il ya eu un équilibre autour de cette notion de design industriel. Mais depuis que cette notion est entrée en crise, la crise écologique, la crise de la consommation dans le sens où on s'est aperçu que la société tourné un peu à vide, de nouvelles formes de design apparaissent. Je crois que c'est ça le mouvement qui va vers le futur. C'est-à-dire que le design se cherche d'autres buts que la production industrielle, ça en quelque sorte c'est acquis. Le design a vraiment permis la transformer la production industrielle, de l'améliorer, la mener à servir à très grande échelle la plus grande partie des populations et puis même, à trop bien le faire, avec justement, l'excès de la consommation qui tourne aujourd'hui à la crise écologique. Le design aujourd'hui, et demain, on va dire que le futur on va l'appréhender dans le présent déjà, il se cherche d'autres finalités. C'est par exemple le design pour l'innovation sociale, avec par exemple, ce que je fais Ezio Manzini, les Desis lab, qui sont présents dans de nombreuses écoles de design dans le monde, qui visent en fait à amener de l'innovation sociale dans une ville depuis une école de design, qui porte des projets, qui se répande dans la ville et dans le territoire local. Il y en a dans beaucoup de pays maintenant. Il y a aussi ce que l'on appelle l'innovation publique, le design des politiques publiques. Finalement, le design dans sa capacité à améliorer l'existant, il a démontré qu'il pouvait améliorer la production industrielle. Est-ce qu'il peut aussi améliorer les services publiques ? Aujourd'hui, c'est un grand champ de travail d'activités. En France, il y a la 27ème Région qui travaille là-dessus par exemple, à la suite du Mind Lab au Danemark ou d'autres structures. Ca, c'est une autre voie. Il y a le design de service qui n'est déjà plus vraiment nouveau mais qui est aussi une autre façon d'aller au-delà du classique design de produit industriel, qui s'appuie sur l'idée que nos économies sont des économies de service maintenant et qui est proche de l'idée d'un design d'expérience. Il s'agit de penser une expérience en lien avec des enjeux de durabilité. Je crois qu'en fait, aujourd'hui, le design, la direction qu'il prend, c'est chercher une issue aux problèmes générés par la société hyper-industrielle, pour laquelle il a pourtant contribué à faire naître grandement. Il y a tout un tas de directions pour cela, l'innovation sociale, l'innovation de service, tout ce qui est conception éthique, responsable, durable mais là, c'est un chantier pour tout le 21ème siècle. Donc, si le 21ème siècle se passe bien, il réussir peut-être à résoudre ces questions et le design réussir à apporter des réponses, à jouer un rôle dans ces questions. Mais là, c'est l'avenir qui va le dire.
Marion Massot : Très bien, merci. Et en dernière question, en tant que spécialiste, quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à des étudiants ou des designers junior ?
Stéphane Vial : Justement hier dans mon cours, on parlait d'un point avec les étudiants, qui me tient à cœur, et puis qui serait une bonne réponse à cette question, c'est que justement on parlait de toutes ces nouvelles formes du design de produit, du design industriel classique et puis finalement, les étudiants disaient que ce n'est pas si facile d'évoluer vers ce type de pratique qui sont très émergentes pour lesquels il n'y a pas d'organismes établis depuis très longtemps ou il n'y a pas une foule d'agences de design installées dans ce domaine. Et puis, on parlait finalement de la relation des designers avec le pouvoir de changer les choses, et puis on se disait que finalement, souvent le pouvoir il est chez les ingénieurs ou il est dans le marketing. Il y a énormément de designers intégrés dans des grands groupes qui sont très frustrés parce qu'en fait, leur travail est soumis au marketing, à la technologie donc à l'ingénierie. Finalement, le design n'est pas assez en position de pouvoir et ce qui fait qu'il ne parvient pas assez à transformer le présent. Ce dans quoi j'aimerai encourager les étudiants, mais c'est aussi les écoles de design qui doivent les aider à aller là-dedans, c'est vers l'entrepreneuriat social. C'est-à-dire que les étudiants en design et les jeunes diplômés, ils attendent principalement de trouver un emploi de designer, de salarié dans une structure ou une agence mais on peut aussi créer son emploi, en créant une activité qui fait sens pour le 21ème siècle. Et ça, je crois que, ça manque. Je crois qu'aujourd'hui il y a besoin de former des armées de designers entrepreneurs sociaux, qui n'ont pas besoin d'aller chercher un job dans des bureaux de design, des agences de design ou des entreprises intégrées parce qu'ils voudraient ou veulent changer les choses et que la seule façon d'être en position de pouvoir, c'est d'être le boss et donc, de créer sa propre entreprise. Je crois qu'aujourd'hui, avec les différentes formes d'entrepreneuriat social, il y a plein de nouvelles possibilités pour entreprendre, les nouvelles formes de sociétés coopératives avec des approches plus éthiques de l'entrepreneuriat, etc. Mais c'est certain que pour ça, il faut qu'on les aide aussi. Je pense que les écoles de design devraient introduire plus d'enseignements tournés vers l'entrepreneuriat social, comment monter une entreprise. Ce n'est pas forcément compliqué, mais cela peut être perçue par les étudiants en design comme quelque chose d'un peu difficile, parce que tout simplement, ils ne sont pas assez familier de cela. Alors que si on prend des formations en ingénierie, c'est assez banal de créer une entreprise quand on est ingénieur diplômé. Il y a des enseignements pour ça puis une relation plus naturelle, plus grande avec l'économie, le marché. Dans le monde du design, il y a encore une tradition école d'art un petit peu anti-capitaliste et là, je crois qu'en ce moment, ce dont l'avenir a besoin c'est de diplômés en design qui ont envie de changer la donne dans un domaine soit la santé, l'éducation, les transports, que sais-je et qui gagneraient à proposer quelque chose en inventant eux-mêmes leurs propres services. Faire du design de service en entrepreneuriat social. Ça, ce serait formidable.
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Merci de m'avoir écouté ! A la semaine prochaine !".
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Éléments cités :
- Le Design, Stéphane Vial
- Court traité du design, Stéphane Vial
- Vincent Baubouin, thèse de philosophie sur Jacques Vienot
- Pierre-Damien Huygues
- Armand Hatchuel
- Herbert Simon, les sciences de l'ingénierie
- Nigel Cross
- Peter Pol Werboeck
- Shannon Valoa
- Ezio Manzini et le réseau Desis : https://www.desisnetwork.org
Si vous souhaitez des informations sur l'histoire du design, il y a 3 épisodes du podcast consacrés à son évolution.
Si vous souhaitez des informations sur le design de service, vous pouvez écouter l'épisode 6 du podcast Culture Design.
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