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  • Photo du rédacteurMarion Massot

Culture Design, il est temps de casser des chaises S2E31



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"Pour clore cette saga sur l'écologie, je vais vous parler de collapsologie. Mais tout d'abord, je tiens à signaler que ce n'est pas une discipline scientifique reconnue.


Alors, la collapsologie, qu'est-ce que c'est ? C'est l'étude de l'effondrement de la civilisation industrielle et de potentiellement, ce qui se passera après. Cette discipline est aussi transdisciplinaire : elle étudie autant l'écologie, l'agro-économie, l'économie, l'Histoire, la philosophie etc. afin de voir comment notre société va s'effondrer. Car, pour les collapsologues, il est sûr que notre monde tel que nous le connaissons est déjà en train de s'effondrer.


En toute sincérité, à l'heure actuelle, je n'ai pas vraiment d'avis sur la question. J'ai découvert ce terme en 2018 et c'est seulement depuis 2019 que je creuse le sujet et je trouve cela intéressant de découvrir qu'est-ce que c'est, d'où ça vient et de vous le faire partager.


Le terme « collapsologie » a été créé par Pablo Servigne, ingénieur agronome, docteur en sciences, auteur et conférencier, s'intéressant aux questions de transition écologique, d'agroécologie, de collapsologie et de résilience, et par Raphaël Stevens, expert en résilience des systèmes socioécologiques.


Mais ce n'est pas pour autant une notion récente, comme on pourrait le croire. La collapsologie correspondrait à une prise de conscience inédite des limites des ressources disponibles sur la planète et du réchauffement climatique. Selon une représentation courante, mais fausse, nous sommes les héritiers d'une génération aveuglément optimiste, parce qu’elle a vécu des périodes de croissance forte et d’énergie bon marché. Et cet héritage ferait de la génération suivante, des personnes légitimement angoissée. Angoissée par l'état dans lequel ses aînés lui laissent la planète en héritage ("ok boomer").  Pourtant, la pensée occidentale a toujours comporté un courant "éco-pessimiste".


L'effondrement est une vieille idée. Deux universitaires canadiens, Joanna Szurmak et Pierre Desrochers, ont donné, sur le site Areo, une analyse assez exhaustive des essais qui peuvent être considérés comme ayant anticipé la vogue collapsologique actuelle.


Brice Couturier, journaliste, cite des éléments historiques dans l'émission « Qu'est-ce que la collapsologie » sur la radio, France Culture. L'Antiquité partageait une conception cyclique de l'Histoire, mais dès le XVIe siècle, de nombreux penseurs croyaient à une forme d’auto-régulation tragique des sociétés humaines par les catastrophes.


Par exemple, Machiavel estimait que « lorsque la science et la méchanceté des hommes atteint son plus haut point », « le monde "se purge" ordinairement par des inondations, des épidémies et des famines. » Et « Giovanni Botero, l’un des ses grands rivaux, professait, que « la grandeur des villes s’arrête au niveau qui lui permet d’être conservée le plus commodément. » Pour lui, le développement urbain devait buter nécessairement sur l’épuisement des ressources alimentaires fournies par les campagnes environnantes. »

Pour Couturier, « la théorie éco-pessimiste la plus cohérente est certainement celle qui a été écrite par Malthus au début du XIX° siècle. Du fait de la croissance démographique, cet économiste britannique estimait que la population augmente de façon exponentielle, tandis que les ressources ne croissent que de façon arithmétique. Conclusion : à moins d’un rigoureux contrôle des naissances, l’humanité est condamnée à la famine. »


Couturier cite aussi Mankind at the Crossroad, best-seller en 1923, écrit par le généticien et botaniste américain Edward Murray East, professeur à Harvard, puis le paléontologue Henry Fairfield Osborn Jr qui écrivit en 1948 La Planète du pillage et Paul Ehrlich, en 1968, avec son livre La Bombe P. Tous annonçait la fin de civilisation, sous forme de guerres d'extermination et de nature qui reprendrait ses droits en rendant notre planète inhabitable et ce, à la fin du XXème siècle. Et nous pouvons affirmer, qu'aujourd'hui au 21ème siècle, ils avaient tous tort : « nous sommes de plus en plus nombreux et nous mangeons de mieux en mieux. »


Mais que pensent les collapsologues d'aujourd'hui ?


Nos systèmes socio-économico-techniques sont devenus tellement complexes que cette complexité les a rendu terriblement vulnérables aux crises et que cela va aller de mal en pis. Ils pensent aussi que, l'humanité est déjà tellement avancé dans cet effondrement que nous ne pourrons pas nous échapper du sort qui nous attend. De cette manière, les collapsologues remettent en question certains de nos mythes fondateurs, comme le caractère indispensable de la croissance ou la bienfaisance des sciences et techniques.


Les deux universitaires canadiens, Joanna Szurmak et Pierre Desrochers, ont développé 4 arguments dans leur ouvrage Population bombed. Exploding the link between Overpopulation and Climate Change concernant l'éco-pessimisme :

  1. « Dans un monde fini, l’expansion démographique et économique indéfinie de l'humanité est irréaliste. »

  2. « Toutes choses étant égales par ailleurs, seule une réduction de la population peut permettre d’améliorer les conditions de vie. »

  3. « Dans un monde aux ressources naturelles limitées, la croissance économique ne peut devenir que de plus en plus coûteuse en énergie et dommageable pour l’environnement. »

  4. « Les risques que présentent les technologies susceptibles d’accroître l’intensité de la production sont tels qu’il est préférable de vivre à l’intérieur de limites. »

En d'autres termes, ils indiquent qu'il faut renoncer à la croissance telle qu'on la connait actuellement. 


Mais, toujours selon ces deux chercheurs canadiens, 2 arguments éco-optimistes s'opposent aux éco-pessimistes :

  1. « Plus un groupe humain concentre de cerveaux, plus il est susceptible de bénéficier de cette intelligence collective pour trouver des solutions à ses problèmes. La surpopulation est donc un faux problème. Plus on est nombreux, plus on est inventif. »

  2. « Le progrès technique est cumulatif. Toute civilisation construit son savoir de manière progressive. Elle acquiert les moyens de régler les problèmes qu’elle rencontre au fur et à mesure qu’ils se présentent. Car, comme l’écrit Steven Pinker, le plus optimiste des éco-optimistes, « le progrès ne peut pas toujours être uniforme et les solutions aux problèmes créent de nouveaux problèmes. »

Ils préconisent ainsi qu'il faut « oser critiquer les méthodes du moment, afin d’en imaginer d’autres, plus efficaces, plus productives. Et surtout se doter des moyens de mesurer les problèmes et le degré d'efficacité des solutions apportées ».


C'est ainsi que je me suis demandée : quelle est donc la place du design dans ce monde qui change ? Quelle est laresponsabilité du designer dans ses conceptions ?


Pour réfléchir à ces questions, je me suis appuyée sur quatre designers.


Tout d'abord, Mike Monteiro, designer américain interactif, cofondateur et directeur de l'agence Mule Design. Dans son article "Design's lost generation", il explique les raisons des différents échecs des designers à faire la chose juste. Pour la première raison, il cite notamment ces phrases :

  • «Je veux faire ce qu'il faut, mais je crains de perdre mon emploi.»

  • «Ça doit être agréable de se permettre de prendre position.» *

  • "J'ai un loyer à payer."

  • "Si vous dites aux gens comment travailler, vous êtes fasciste !"

Il explique qu'il a de nombreuses fois entendu des variations de ces phrases, sous forme d'excuses ou par l'expression de la colère, mais surtout, il note que ces designers se sentent fatigués et battus. Monteiro déclare ensuite que la peur de perdre un emploi est une prophétie auto-réalisatrice et surtout, que la peur rend moins probable notre volonté à nous remettre en question et contester les choses dont on aurait besoin pour se remettre en question et contester. 


De ce fait, ce qu'il appelle « la génération perdue de designers », sont des personnes qui se sont retrouvés debout devant une porte et, plutôt que de se considérer comme des gardiens, ils ont décidé qu'ils étaient des groom .


La seconde raison à l'échec de cette génération de designer, est le manquement d'une administration garante du bien-fondé et de l'intégrité des designers, comme pourrait le faire , pour moi à tort, la NRA – National Rifle Association, association américaine qui promeut la possession d'armes à domicile notamment. Avoir le soutien et le pouvoir d'une organisation professionnelle derrière soi, ça aide énormément à défendre la solidité de son travail.


Enfin, la 3ème raison concerne l'histoire du design. Le domaine du design a d'abord été défini par les ingénieurs et leur définition du design est encore largement acceptée par une grande majorité de designers travaillant dans le domaine aujourd'hui. Et c'est le problème : nous laissons d'autres personnes définir le travail.


Ensuite, Geoffrey Dorne, designer indépendant et engagés dans les questions sociales, écologiques et politiques. Dans son article « Du design à l’effondrement : par où commencer ? #collapsologie » et à travers son travail de designer, il propose de diffuser le sujet autour de nous : avec nos moyens graphiques, en posant des questions et en mettant au centre de nos actions ce sujet de l’effondrement afin que des portes s’ouvrent, des questionnements aussi, et que des nouvelles idées germent pour travailler et vivre autrement. Voici une liste non exhaustive des questions que Dorne propose :

  • « Comment être plus résilient ? »

  • « Quel sens et quelle place dois-je donner à mon métier dans tout cela ? »

  • « Comment gérer émotionnellement ce sujet ? »

  • « Comment rendre les citoyens, ses proches et soi-même plus autonome ? Moins dépendant du système de la croissance exponentielle, de l’État ou de la ville ? »

  • « Comment ré-apprendre les savoir-faire qui précédaient la civilisation thermo-industrielle ? »

  • « Dois-je parler de ces sujets à mes proches et à ma famille ? »

  • « Quel chemin personnel puis-je emprunter pour ne pas être déprimé mais avoir conscience de ce qu’il se passe ? »

Dorne explique que le « design doit s'inscrire véritablement dans une dynamique altruiste » afin de « penser différemment le travail, les relations sociales, l’amour, la psychologie, la consommation (ou plutôt son absence), l’alimentation, son lieu de vie actuel, les activités du quotidien, ses apprentissages, etc. ». Grâce à l'effondrement, « c’est l’occasion ou jamais de créer avec son cerveau et ses capacités mais aussi avec son cœur ».


Dorne parle aussi de résilience, en cherchant la décroissance capitaliste, l'autonomie, par exemple, « en développant et favorisant les systèmes simples, locaux, les circuits courts, en rendant autonomes ses proches, ses collaborateurs, ses clients, en investissant ses revenus dans des structures autonomes, locales et durable s » et il ajoute que « surtout, il faut tisser dès maintenant les liens sociaux forts pour échanger, débattre, construire ensemble et s’entraider aussi intellectuellement et psychologiquement sur ce sujet de l’effondrement. Il concerne tout le monde, c’est donc dans le collectif que cela se construira ».


Ensuite, je me suis appuyée sur les réflexions de Marie-Cécile Paccard, designer systémique, facilitatrice, oratrice, mentor, moteur d'écosystèmes et écoféministe intersectionnelle. Elle propose un « éveil à une autre vision du monde.»


Dans son article « S'éveiller à l'effondrement », elle cite Gunther Pauli, entrepreneur de la bioénergie et collapsologue optimiste. Selon lui, l’exponentielle n’a pas de sens :« Sur bien des aspects, l’exponentielle c’est le suicide : un arbre ne peut pas grandir jusqu’à l’infini, il se suiciderait de par sa taille ». Paccard explique aussi que « notre société mondialisée qui balance du non-sens par poids-lourds entiers se cassera la figure à un moment donné », partageant la pensée de Pauli balayant « d’un revers de main les glorieux innovateurs qui ont de leurs dires déjà sauvé le monde avec leurs batteries et leurs véhicules électriques miraculeux ».


Pour elle, cet effondrement c'est la voie possible à de nouvelles opportunités et propose de mettre « nos savoir-faire au service de la sensibilisation du grand public ».


Et si on s'en sortait ?


Paccard, comme Dorne, parle de nos capacité de résilience dans son article « Et si on s'en sortait après tout », traduit de l'original écrit par Mike Monteiro.


Et enfin, Laurent Gallen, senior UX UI Designer, UX mobile designer, formateur et designer d’interfaces.


Pour Gallen, le designer porte en lui la capacité de « relier les mondes » : « L’humain qui porte une pensée Design ne peut être seulement dans le monde intellectuel. Il ne peut pas non plus être uniquement sur le terrain. Il recherche en continue et transfert dans le champ de l’action dès qu’il a des pistes. Pour traiter des sujets complexes comme celui de l’effondrement il ne peut le faire seul et a besoin des humains et des idées de ces deux mondes. Alors, il connecte les diversités, il apprend les différents langages et modèles de pensée, il facilite les collaborations. Il devient en quelque sorte un caméléon au service des autres ».


Gallen met ainsi en évidence l'importance de la pensée systémique : en travaillant les liens entre tout ce qui fait partie de la « nécessaire diversité du vivant », en privilégiant le travail collaboratif plutôt que le débat. Il explique que « ce qui compte, c’est de ramener dans le réel les concepts intellectuels des uns avec les contraintes terrain et les expériences des autres. S’inspirer des idéaux oui, mais pour passer à l’action rapidement, expérimenter, tester. »

Être un designer de l’effondrement, c'est porter une responsabilité politique, responsabilité qui s’exprime « non seulement par des concepts intellectuels et des histoires mais surtout par des actions collectives. C’est une politique qui s’écrit au même moment qu’elle se construit ».


Il conclue ensuite que « la pensée systémique porte la conscience de la complexité et de la nécessité de collaborer. Elle permet par une collaboration intelligente de détecter les urgences et surtout, les causes de nos problèmes de société. Si l’on a les causes alors il est possible de passer à l’actions en reliant les acteurs, les expertises et les ressources complémentaires. C’est à ce moment précis que l’on peut utiliser des modèles, des méthodes et des outils pour faciliter l’intelligence collective et la synergie d’un groupe. Alors un prototype de solution peut émerger, être testé. On apprend, on réoriente et on lance une nouvelle action, et ainsi de suite. A la manière des lettres que je tape sur mon écran, les collaborations impriment dans le réel des solutions ».


Voici les premiers pas proposés par Gallen :

  • si l'on part du postulat que « les humains n’ont plus “le temps” » : il met en avant l'hypothèse que les humains l’utilisent pour avoir de “l’argent”. Ainsi, « une compréhension plus large de l’économie, de la finance, ainsi qu’un profond redesign de nos systèmes économiques semble être la priorité actuelle. Sans une nouvelle logique économique et fiancière, nous sommes pris au piège de nos vieux concepts et nous n’aurons toujours du temps que pour gagner de l’argent… »

  • si l'on part du deuxième postulat que « Les humains doivent réapprendre à collaborer » : Gallen préconise de « faciliter les collaborations ainsi que les interrelations » et que  « Redesigner nos éco-systèmes et leurs comportements les uns par rapport aux autres est primordial pour retrouver la prospérité : basculer de fermé à ouvert — concurrence à collaboration — peur à confiance »

  • et le dernier postulat : « Les humains sont passifs dans leur confort et notre société prône le moindre effort pour s’occuper de tout (Uber, Deliveroo, ménage à domicile, etc…). » : Gallen explique qu'étymologiquement “effort” signifie “Action énergique”, c'est-à-dire le « fait d’utiliser son énergie pour quelque chose qui importe ; est-ce que cet “effort” est à éviter s’il vient de nous, s’il vient de nos tripes ? Est-ce qu’on souhaite vraiment que d’autres s’occupent de tout à notre place ? », Gallen pense que « Faciliter la dynamique personnelle et de groupe rejoint les priorités précédentes », en repensant « l’activité, le projet, le quotidien, le divertissement, le jeu, l’administration ».

Enfin, pour conclure sans que je puisse fermer totalement cette discussion car il y a tellement à échanger et tellement d'inconnues, vous pourrez aller en septembre 2020, à Lille, assister au nouveau colloque d'Ethics by Design à la CCI de Lille. Je vous partage la question, qui sera le sujet principal de ce colloque et qui est tout à fait celle que je me pose : « Comment le design doit-il s'adapter et comment peut-il aider à prendre en compte les défis de notre société ? ».

 

Sources


 
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